Cette analyse est la première d’une (malheureusement) assez longue série. À travers cette chronique « Les VF perdues de Disney », je souhaite participer à remettre en lumière certains anciens doublages des Classiques de Disney. Même si les premières VF peuvent évidemment comporter leur lot de défauts, je n’approuve pas le fait de faire disparaître des doublages entiers, sur lesquels des équipes ont travaillé et avec lesquels des spectateurs ont grandi. Je souhaite ainsi découvrir toutes ces anciennes VF et les passer en revue. Nous allons donc commencer avec le premier doublage de Dumbo, notre cher petit éléphanteau volant.

Moins lisse et plus logique : le texte de la VF de 1947

Ce qui saute aux yeux en premier avec cette VF de 1947, ce sont ses textes introductifs. En effet, dans la première version française, les textes écrits, présents lors du générique d’ouverture, ont été traduits. Ici, il n’est pas question de « supervising director » ou de « story direction », on lira plutôt « supervision de » et « découpage de ». J’ai personnellement beaucoup de respect pour ces versions françaises qui prennent le temps de modifier les textes visibles à l’écran (comme la première VF de Blanche-Neige et les Sept Nains). Il est vraiment regrettable que ces textes soient repassés en anglais dans la nouvelle version francophone de 1980. À noter également que le titre s’affiche sous le nom Dumbo, l’éléphant volant. Mais en tant que puriste, ça ne me dérange pas que le titre français ait changé entre-temps, pour revenir au simple Dumbo de la VO.

Mais ce qui m’a particulièrement sauté aux yeux avec cette VF, ce sont ses dialogues, que j’ai trouvé plus pêchus et plus mémorables que dans le doublage français actuel. Je l’ai particulièrement ressenti chez le personnage de Timothée, qui fait preuve ici d’une personnalité bien plus affirmée. En effet, ses répliques sont moins lisses que dans la deuxième VF. Il emploie un jargon plus familier, en appelant Dumbo « le gosse » et en clamant des « on s’tire ». Dans l’ensemble, ses répliques se révèlent toutes un peu plus percutantes, je me suis même surpriser à trouver le personnage bien plus amusant. Lors de ce visionnage particulier, Timothée m’a fait rire à plusieurs moments où je ne me rappelais pas avoir ri devant la deuxième VF. Par exemple, lorsque la petite souris discute avec Dumbo pour la première fois, et se rend compte qu’il a vraiment effrayé le protagoniste en voulant faire peur aux éléphantes, il dit : « Il y a des jours où on ne contrôle pas sa force, j’ai vraiment été trop loin ». Cette réplique est certes plutôt simple, mais voir ce rongeur minuscule parler de « contrôler sa force », je trouve ça plutôt amusant.

À noter que dans ce premier doublage, le texte est resté plus proche de la VO pour expliquer l’origine du nom « Dumbo ». Pour ceux qui ne connaîtraient pas la version originale, une explication s’impose peut-être. En anglais, lorsque Mme Jumbo choisit le nom de son fils, elle le prénomme « Jumbo Jr ». Par la suite, une méchante éléphante se moque des grandes oreilles du héros éponyme et le surnomme « Dumbo » (« dumb » signifiant « idiot » dans la langue de Shakespeare). Par la suite, ce nom moqueur deviendra le nom du scène du personnage. Dumbo parviendra à atteindre la renommée avec ce nom et fera de ce sobriquet, sa plus grande force. Il y a donc toute une signification très forte dans son nom, en version originale. Simplement, le mot « dumb » ne se comprend pas en français, ce qui rend la traduction un peu compliquée. Pour rappel, la seconde VF a pris un chemin très différent. Mme Jumbo nomme son fils « Dumbo Jr », ce qui pose de suite quelques questionnements… qui est Dumbo Sr, au juste ? Et lorsque l’éléphante se moque de Dumbo, elle l’appelle « Dum-pas-beau ». Par la suite, tous les personnages s’adresseront au personnage-titre en l’appelant « Dumbo ». Le surnom moqueur de la VO devient tout simplement un diminutif du nom complet « Dumbo Jr », dans version française de 1980. Je conçois tout-à-fait que la traduction n’a pas dû être aisée mais je trouve dommage de voir toute la symbolique du nom « Dumbo » disparaître ainsi. La première VF a adopté une autre approche, plus proche de la version originale. Cette fois, notre bébé éléphant s’appelle bien « Jumbo Jr » et il reçoit l’insulte suivante : « Dumbo, l’empoté ». Cette autre traduction peut aussi apporter son lot de questionnements, puisqu’un enfant francophone ne comprendra pas pourquoi on est soudainement passés de « Jumbo » à « Dumbo ». Au moins, cette fois, la symbolique scénaristique du nom a été conservée, même si le procédé n’est pas parfait non plus.

Un doublage plus cohérent

Dans l’ensemble, j’ai donc été satisfaite du travail accordé au texte de cette ancienne version française. Mais qu’en est-il du doublage ? Eh bien, pareil, il ne m’a pas déplue. Encore une fois, le personnage qui marque le plus, c’est notre cher Timothée, incarné ici par Camille Guérini. Alors, je sais, on adore tous Roger Carel et ça peut faire bizarre de voir un de ses personnages parler avec une autre voix. Mais en dépit de tout mon amour pour Carel, je trouve le Timothée de Guérini plus fidèle à la version originale. Ici, le rongeur présente une voix moins cartoonesque, plus sérieuse, choix qui ne me dérange pas. Ainsi, la souris présente davantage sa propre personnalité et se force moins à correspondre au cliché du side-kick à la Disney.

Plusieurs choix vocaux m’ont également paru bien plus cohérents que dans la deuxième VF. Par exemple, lorsque Casey Jr parle, il a une véritable « voix de train » (ça se dit, ça ?). Certes, son timbre n’est pas aussi drôle que dans la version originale mais reste bien plus convaincant que celui de la seconde VF, qui sonne beaucoup trop humain. Pour précision, quand j’étais petite, chaque fois que Casey parlait, je ne comprenais pas si la voix qu’on entendait était la sienne ou celle du conducteur. Aussi, est-ce que vous vous souvenez de la scène où Dumbo participe à un spectacle de clowns et incarne un bébé ? Lors de cette scène, un clown homme joue sa maman. Dans la deuxième VF, le clown a étrangement une vraie voix de femme, ce qui n’est pas logique. Dans le doublage de 1947, comme pour la VO, on entend un homme qui imite un timbre féminin.

Autre détail amusant : vous vous souvenez, lorsque le film arrive à sa conclusion, plusieurs affiches contant les exploits de Dumbo apparaissent à l’image. Dans la deuxième VF, on entend Roger Carel (donc Timothée) lire à voix haute ce qui est écrit sur ces annonces. Pourtant, en VO, les affiches apparaissent sans qu’aucune voix ne vienne les commenter. C’est un procédé que l’on retrouve souvent dans les versions françaises, afin de rendre compréhensibles les textes anglais visibles à l’écran. La première VF a fait de même, puisqu’on y retrouve une voix pour nous traduire les posters. Cependant, cette fois, il ne s’agit pas de Camille Guérini, mais d’un autre comédien qui lit le texte avec un ton de présentateur TV. Pour le coup, quitte à prendre des libertés avec la version anglaise, je trouve que l’idée de la deuxième VF est plus mignonne et amusante.

Si je devais émettre un reproche sur le doublage, ce serait qu’on entend souvent trop le micro. On oublie difficilement que les comédiens enregistrent en studio car les ambiances et le mixage ne sont pas aussi aboutis que dans la VF de 1980. Autrement, pour ce qui est du jeu en lui-même, je ne le trouve absolument pas honteux.

Des chansons très bizarres…

Bon, jusqu’à présent, j’ai majoritairement complimenté cet ancien doublage. Cependant, s’il y a bien un point sur lequel cette VF ne m’a pas énormément convaincue… c’est sur celui des chansons. Je ne peux même pas résumer cet aspect en un seul problème, tant il y a à redire. Pour commencer, les morceaux musicaux ont dû être difficiles à mixer car plusieurs fois, j’ai éprouvé une grande difficulté à comprendre les paroles, particulièrement dans Voici le messager.

Cette VF propose également quelques drôles de bizarreries dans la traduction des paroles. Par exemple, lorsque la cigogne chante La Livraison à Mme Jumbo, elle se met à chanter On vous souhaite tous nos souhaits, sur l’air de la chanson Joyeux Anniversaire. Entendre des paroles inédites sur un air préexistant aussi connu, c’est assez déconcertant. D’un autre côté, cette première VF se montre plus sensée que la seconde, dans laquelle la cigogne chante Joyeux anniversaire à un Dumbo qui vient juste de naître. En anglais, il n’y a pas de souci car lorsqu’on décortique le mot « birthday », on obtient « jour de naissance ». Mais le terme « anniversaire » provenant du mot « année », la chanson ne fonctionne pas en français. Cette première version française fait également le choix étrange de laisser On doit dresser le chapiteau en anglais. Certes, ce n’est pas forcément la chanson la plus utile, d’un point de vue scénaristique, mais… pourquoi ne pas l’avoir traduite, malgré tout ?

On arrive ensuite à la chanson que vous attendez tous : Mon tout petit. Alors, là aussi, il y a des choses à redire. Je trouve notamment que la chanteuse a une voix très chevrotante, très éloignée de l’esprit doux et maternelle de la version originale. La fin de la chanson surprend également puisque les choeurs qui accompagnent Mme Jumbo sont absents. De plus, la chanteuse conclut sur un ton très haut, au lieu de redescendre sur une tonalité plus douce, comme en VO. Cependant, si on met ces défauts de côté, je n’ai pas non plus détesté cette ancienne version, plutôt bien rattrapée par son texte. Le premier couplet n’est pas la partie la plus réussie à mon goût, faute à un ton un peu trop triste, pour une chanson censée être réconfortante : Mon petit, quand tu pleures Ta maman pleure aussi. Mais par la suite, le deuxième couplet se révèle bien mieux en phase avec la VO : Mon petit, quand tu joues Laisse s’enfuir les soucis Le bonheur brille dans mon coeur Et le guérit, mon tout petit. En comparaison, j’ai un peu de mal avec le ton très fataliste des paroles du deuxième doublage : Tu auras bien le temps Car certains sont méchants De connaître les soucis Et les chagrins durant ta vie (pour rappel, c’est une mère qui console son enfant). Aussi, je dois avouer que le Ne crois pas leurs mensonges me fait assez frissonner, surtout compte tenu des thématiques du film.

Malheureusement, les deux dernières chansons La Marche des éléphants et Voir voler un éléphant, toutes deux très iconiques, se sont avérées les plus décevantes, pour moi. L’instrumental de La Marche des éléphants a été énormément réarrangé, au point de devenir très discret. Dès que les éléphants roses se mettent à chanter, les trompettes disparaissent complètement. Il ne reste alors plus qu’un petit son répétitif, pour créer le rythme. Les voix sont également bien trop neutres à mon goût, on est loin de l’étrangeté attendue. Et pour ce qui est de Voir voler un éléphant, les interprètes des corbeaux ne sont absolument pas en rythme. À tel point que j’ai cru que les responsables de la VF avaient complètement réimaginé l’air de la chanson, pendant un instant.

Sur ce, je pense avoir fait le tour de mes impressions sur ce doublage, devenu indisponible aujourd’hui. Je regrette beaucoup tous ces défauts sur les chansons, qui témoignent certainement d’un manque de moyens alloués pour cette version française. C’est d’autant plus dommage que cette VF de 1947 propose plusieurs bonnes idées dans son texte et se révèle parfois plus cohérente que la VF actuelle. Je suis donc très contente d’avoir pu la découvrir, il me tarde de faire la connaissance d’autres anciens doublages disparus et de partager mon ressenti ici, sur le site.

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